"Pourquoi pour me lire, il faut forcément penser à l'Afrique ?"
jeudi 25 juin 2009
Le ventre de l'Atlantique
Fatou Diome, (2003). Le ventre de l’Atlantique, Editions Anne Carrière, Coll. Le Livre de Poche, Paris.
galerie photo
Il s’agit d’un premier roman qui témoigne avec force et non sans humour de « l’inconfortable situation des venus de France écrasés par les attentes démesurées de ceux qui sont restés au pays ».
Salie vit en France, son frère Madické, un passionné de football rêve de l’y rejoindre. A travers leurs propos, nous partageons leurs histoires de vie et leurs représentations du monde mais aussi au-delà de leurs personnes, les cultures, les idéologies contrastées qui traversent et séparent parfois la culture française de la culture sénégalaise.
« En Afrique, je suivais le sillage du destin, fait de hasard et d’un espoir infini. En Europe, je marche dans le long tunnel de la performance qui conduit à des objectifs bien définis. Ici, point de hasard, chaque pas mène vers un résultat escompté ; l’espoir se mesure au degré de combativité. » (p 14)
Parfois le propos des personnages est digne d’une réflexion philosophique ou morale sur l’existence. « Chaque miette de vie doit servir la dignité ». (p17)
Fatou Diomé montre bien comment le processus d’adaptation dans une société différente conduit un individu à exercer sur lui-même un autocontrôle rigoureux et à ne pas se laisser emporter par ses désirs ou la détresse de ses renoncements.
Elle devient mélancolique en pensant à la culture de départ et elle veut la juguler. « La nostalgie est mon lot, je dois l’apprivoiser, garder dans mes tiroirs à reliques la musique de mes racines (…) Rendez-moi Piaf, Brel, Brassens, Barbara et Gainsbourg, qui savaient faire couler leurs chansons comme autant de sources limpides, jusqu’à la plus reculée des pistes du Sahel. Là, une douce goutte de français vous tombait dans l’oreille puis sur le bout de la langue pour ne plus jamais vous quitter. Miam, ça se mange une bonne langue ».
L’auteur nous amène d’une manière compréhensive à partager au mieux le malaise les stigmates et au pire la cruauté de l’existence d’une enfant dont la naissance n’est pas légitime et dont la communauté veut se débarrasser. A l’école, la cour de récréation ressemble souvent à un champ de bataille où elle se bat pour le respect de son nom. « Ma grand-mère m’avait appris que si les mots sont capables de déclarer une guerre, ils sont aussi assez puissants pour la gagner ».
Elle préfère prendre le risque de l’exil d’une personne immigrée :
« Il y a des musiques, des chants, des plats qui vous rappellent soudain votre condition d’exilé, soit parce qu’ils sont trop proches de vos origines, soit parce qu’ils en sont trop éloignés. Dans ces moments-là, désireuse de rester zen, je deviens favorable à la mondialisation, parce qu’elle distille des choses sans identité, sans âme, des choses trop édulcorées pour susciter une quelconque émotion en nous ».
Avec le personnage de Madické, l’auteur montre que tout individu quel qu’il soit a besoin de se créer un monde où il peut se réfugier de temps en temps.
Avec le football retransmis à la télévision au Sénégal, Madické a un échappatoire pour donner libre cours à ses émotions, à ses désirs trop refoulés dans un quotidien tristement banal et sans avenir.
Le spectacle du football en particulier permet à cet adolescent, à ses besoins affectifs et émotionnels d’exulter. Il s’imagine dans un stade comme à l’intérieur d’une pièce de théâtre et peut enfin transcender les contraintes de sa vie sans projet.
L’arrière plan politique et le message moral sont toujours en arrière-plan quand par exemple survient dans l’émission sportive l’interruption de la publicité :
« Coca-Cola, sans gêne, vient gonfler son chiffre d’affaires jusque dans ces contrées… où l’eau potable reste un luxe » et l’auteur, non sans ironie fait dire à un de ses personnages : « Surtout, n’ayez aucune crainte, le Coca-Cola fera pousser le blé dans le Sahel ».
C’est bien là, la force morale et politique de ce roman sans concession :
Utiliser l’humour, le ton ironique ou faussement naïf pour traduire le destin plus ou moins tragique d’une personne exilée, qu’elle soit dans son pays d’origine ou qu’elle soit dans un pays d’accueil.
galerie photo
Il s’agit d’un premier roman qui témoigne avec force et non sans humour de « l’inconfortable situation des venus de France écrasés par les attentes démesurées de ceux qui sont restés au pays ».
Salie vit en France, son frère Madické, un passionné de football rêve de l’y rejoindre. A travers leurs propos, nous partageons leurs histoires de vie et leurs représentations du monde mais aussi au-delà de leurs personnes, les cultures, les idéologies contrastées qui traversent et séparent parfois la culture française de la culture sénégalaise.
« En Afrique, je suivais le sillage du destin, fait de hasard et d’un espoir infini. En Europe, je marche dans le long tunnel de la performance qui conduit à des objectifs bien définis. Ici, point de hasard, chaque pas mène vers un résultat escompté ; l’espoir se mesure au degré de combativité. » (p 14)
Parfois le propos des personnages est digne d’une réflexion philosophique ou morale sur l’existence. « Chaque miette de vie doit servir la dignité ». (p17)
Fatou Diomé montre bien comment le processus d’adaptation dans une société différente conduit un individu à exercer sur lui-même un autocontrôle rigoureux et à ne pas se laisser emporter par ses désirs ou la détresse de ses renoncements.
Elle devient mélancolique en pensant à la culture de départ et elle veut la juguler. « La nostalgie est mon lot, je dois l’apprivoiser, garder dans mes tiroirs à reliques la musique de mes racines (…) Rendez-moi Piaf, Brel, Brassens, Barbara et Gainsbourg, qui savaient faire couler leurs chansons comme autant de sources limpides, jusqu’à la plus reculée des pistes du Sahel. Là, une douce goutte de français vous tombait dans l’oreille puis sur le bout de la langue pour ne plus jamais vous quitter. Miam, ça se mange une bonne langue ».
L’auteur nous amène d’une manière compréhensive à partager au mieux le malaise les stigmates et au pire la cruauté de l’existence d’une enfant dont la naissance n’est pas légitime et dont la communauté veut se débarrasser. A l’école, la cour de récréation ressemble souvent à un champ de bataille où elle se bat pour le respect de son nom. « Ma grand-mère m’avait appris que si les mots sont capables de déclarer une guerre, ils sont aussi assez puissants pour la gagner ».
Elle préfère prendre le risque de l’exil d’une personne immigrée :
« Il y a des musiques, des chants, des plats qui vous rappellent soudain votre condition d’exilé, soit parce qu’ils sont trop proches de vos origines, soit parce qu’ils en sont trop éloignés. Dans ces moments-là, désireuse de rester zen, je deviens favorable à la mondialisation, parce qu’elle distille des choses sans identité, sans âme, des choses trop édulcorées pour susciter une quelconque émotion en nous ».
Avec le personnage de Madické, l’auteur montre que tout individu quel qu’il soit a besoin de se créer un monde où il peut se réfugier de temps en temps.
Avec le football retransmis à la télévision au Sénégal, Madické a un échappatoire pour donner libre cours à ses émotions, à ses désirs trop refoulés dans un quotidien tristement banal et sans avenir.
Le spectacle du football en particulier permet à cet adolescent, à ses besoins affectifs et émotionnels d’exulter. Il s’imagine dans un stade comme à l’intérieur d’une pièce de théâtre et peut enfin transcender les contraintes de sa vie sans projet.
L’arrière plan politique et le message moral sont toujours en arrière-plan quand par exemple survient dans l’émission sportive l’interruption de la publicité :
« Coca-Cola, sans gêne, vient gonfler son chiffre d’affaires jusque dans ces contrées… où l’eau potable reste un luxe » et l’auteur, non sans ironie fait dire à un de ses personnages : « Surtout, n’ayez aucune crainte, le Coca-Cola fera pousser le blé dans le Sahel ».
C’est bien là, la force morale et politique de ce roman sans concession :
Utiliser l’humour, le ton ironique ou faussement naïf pour traduire le destin plus ou moins tragique d’une personne exilée, qu’elle soit dans son pays d’origine ou qu’elle soit dans un pays d’accueil.
mercredi 24 juin 2009
Portrait Césairien
Poète engagé par excellence, son art n’est jamais un jeu gratuit destiné à atteindre la beauté, mais comme un moyen de forger une certaine idée de l’homme.
Il est né le 26 juin 1913 à Basse-Terre, commune du Nord de la Martinique, au pied du Volcan de la Montagne Pelée dans une région consacrée à la culture de la canne à sucre et donc imprégnée des formes de la vie coloniale.
Il appartient à une famille de la petite bourgeoisie noire : son grand-père était instituteur, puis professeur de lettres, son père inspecteur. Césaire en gardera le goût d’une belle langue française et lira les auteurs classiques.
Césaire est donc né dans une société profondément inégalitaire, imprégnée de préjugés raciaux. Il n’a jamais accepté la malédiction pesant sur la couleur de peau. Le Créole, langue née de la rencontre d’hommes d’origines très diverses est considéré comme un patois rustique et est méprisé.
La culture savante emprunte ses modèles à la littérature française et insidieusement, des mots et des formulations étrangers aux Antilles comme l’évocation du printemps ou de l’automne que ne connaît pas le climat antillais par exemple, viennent se glisser dans la réalité d’auteurs antillais et trahissent l’assimilation à des manières de penser et à des comportements de la métropole.
Tragique histoire des hommes qui ne peuvent pas être eux-mêmes, qui en ont peur et honte.
C’est avec volupté qu’il quitte la Martinique pour continuer ses études en France. Il prépare le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure, en 1931.
Césaire rencontre et fréquente les quelques étudiants noirs installés à Paris : les Sénégalais Ousmane Socé et Léopold Sédar Senghor. C’est dans ces cercles estudiantins que va se construire la notion de négritude, stratégie de rupture avec l’assimilation colonialiste.
Il est né le 26 juin 1913 à Basse-Terre, commune du Nord de la Martinique, au pied du Volcan de la Montagne Pelée dans une région consacrée à la culture de la canne à sucre et donc imprégnée des formes de la vie coloniale.
Il appartient à une famille de la petite bourgeoisie noire : son grand-père était instituteur, puis professeur de lettres, son père inspecteur. Césaire en gardera le goût d’une belle langue française et lira les auteurs classiques.
Césaire est donc né dans une société profondément inégalitaire, imprégnée de préjugés raciaux. Il n’a jamais accepté la malédiction pesant sur la couleur de peau. Le Créole, langue née de la rencontre d’hommes d’origines très diverses est considéré comme un patois rustique et est méprisé.
La culture savante emprunte ses modèles à la littérature française et insidieusement, des mots et des formulations étrangers aux Antilles comme l’évocation du printemps ou de l’automne que ne connaît pas le climat antillais par exemple, viennent se glisser dans la réalité d’auteurs antillais et trahissent l’assimilation à des manières de penser et à des comportements de la métropole.
Tragique histoire des hommes qui ne peuvent pas être eux-mêmes, qui en ont peur et honte.
C’est avec volupté qu’il quitte la Martinique pour continuer ses études en France. Il prépare le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure, en 1931.
Césaire rencontre et fréquente les quelques étudiants noirs installés à Paris : les Sénégalais Ousmane Socé et Léopold Sédar Senghor. C’est dans ces cercles estudiantins que va se construire la notion de négritude, stratégie de rupture avec l’assimilation colonialiste.
mardi 23 juin 2009
Discours sur le colonialisme
En juillet 1989, bicentenaire de la Révolution française, Antoine Vitez lit Le discours sur le colonialisme d'Aimé Césaire.
Celui-ci est malheureusement tronqué, une incitation à lire ces pages fondatrices !
Celui-ci est malheureusement tronqué, une incitation à lire ces pages fondatrices !
Au franchissement du monde
La didactique des langues depuis les années 80 promeut une pédagogie de l’interculturel.
Cette pédagogie s’appuie parfois sur une attitude qui consiste à proposer une sorte de tolérance indifférente vis-à-vis des valeurs et une tendance à éviter, à proscrire tout ce qui pourrait susciter relations antagonistes ou conflictuelles afin de favoriser on ne sait trop quelle acculturation universalisante. Or s’intéresser aux littératures francophones hors de l’Hexagone c’est non seulement prendre en considération le droit à la différence, un des aspects positifs de l’interculturel mais aussi s’impliquer par rapport aux valeurs culturelles.
Ainsi franchir les frontières, c’est ce que permet un auteur si éloigné géographiquement, comme Aimé Césaire, qui par son histoire, ses actes citoyens, ses écrits ose dire non au colonialisme et défendre la négritude. Inventeur du concept, il nous fait comprendre qu’un besoin de repères se manifeste aujourd’hui et qu’il convient de ne pas mettre les valeurs sur le même pied au nom de la tolérance. La neutralité en pédagogie comme dans ses écrits ne peut être qu’illusoire voire destructrice de notre humanité.
Il nous montre que l’interculturel vu sous l’angle de l’histoire n’est que rarement le lieu de la réalisation du voulu. C’est le plus souvent le lieu du subi.
Sa vie et son œuvre témoignent du contraire .
Ainsi franchir les frontières, c’est ce que permet un auteur si éloigné géographiquement, comme Aimé Césaire, qui par son histoire, ses actes citoyens, ses écrits ose dire non au colonialisme et défendre la négritude. Inventeur du concept, il nous fait comprendre qu’un besoin de repères se manifeste aujourd’hui et qu’il convient de ne pas mettre les valeurs sur le même pied au nom de la tolérance. La neutralité en pédagogie comme dans ses écrits ne peut être qu’illusoire voire destructrice de notre humanité.
Il nous montre que l’interculturel vu sous l’angle de l’histoire n’est que rarement le lieu de la réalisation du voulu. C’est le plus souvent le lieu du subi.
Sa vie et son œuvre témoignent du contraire .
mardi 16 juin 2009
le drapeau de la langue
"Enseigner la littérature francophone, c'est aussi enseigner l'esprit de notre histoire qui a été dure parfois mais qu'il faut recomposer pour mieux comprendre le monde d'aujourd'hui qui s'exprime en français"
Alain Mabanckou, écrivain Congolais
Alain Mabanckou, écrivain Congolais
Par là où tout commença...
Une introduction,
Un monde protéiforme dans lequel puiser ces aventures humaines
Des eux, des nous, des là, des bas,
de décentration en mutation, les lectures diverses alimentent nos êtres.
Et pourquoi les méconnaître, les évincer de nos réalités ?
Trop éloignées, trop autres, trop orientées, et certainement trop peu primées, le silence s'installe.
Une envie de dire et de raconter,
non pas de redresser d'incorrigibles torts,
seulement s'étirer entre divers pensées
évoquer et suggérer,
susciter mais encore : défragmenter.
pour comprendre aussi que l'ailleurs nourrit l'ici...
Un monde protéiforme dans lequel puiser ces aventures humaines
Des eux, des nous, des là, des bas,
de décentration en mutation, les lectures diverses alimentent nos êtres.
Et pourquoi les méconnaître, les évincer de nos réalités ?
Trop éloignées, trop autres, trop orientées, et certainement trop peu primées, le silence s'installe.
Une envie de dire et de raconter,
non pas de redresser d'incorrigibles torts,
seulement s'étirer entre divers pensées
évoquer et suggérer,
susciter mais encore : défragmenter.
pour comprendre aussi que l'ailleurs nourrit l'ici...
Inscription à :
Articles (Atom)